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Lieu Université Paris Cité

Thèses et HDR

Clément DUBOST : Modélisation des états de transition pendant l’anesthésie

Directeurs de thèse : Pierre-Paul Vidal et Nicolas Vayatis
Soutenance le 18/06/21

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Résumé :

Les mécanismes neuronaux qui sous-tendent les états de vigilance ont fait l’objet de recherche par plusieurs générations de chercheurs et de médecins mais ils restent encore largement inexpliqués. Par ailleurs, les anesthésistes s’exercent quotidiennement à moduler ces mêmes états de vigilance pour permettre la réalisation d’actes chirurgicaux. Au cours de l’anesthésie, outre la profondeur de la sédation, l’homéostasie des grandes fonctions physiologiques doit être monitorée car elle peut être perturbée. Certaines de ces perturbations, tel que l’arrêt respiratoire, sont facilement repérables par l’examen clinique. D’autres doivent être détectées par un monitorage instrumental, par exemple la détection de la variabilité de la fréquence cardiaque. En ce qui concerne l’appréciation de la profondeur de l’anesthésie, l’électroencéphalographie (EEG) est très difficile à utiliser dans un bloc opératoire à cause des multiples interférences générées par les instruments utilisés par l’équipe chirurgicale. En pratique courante, la surveillance des paramètres cardio-respiratoires et les doses d’anesthésiques injectées sont donc utilisées pour avoir un reflet indirect de la sédation. Dans ce contexte, les travaux de notre thèse ont un double but : premièrement, approfondir les connaissances des mécanismes qui sous-tendent la modulation des états de vigilance ; deuxièmement, rechercher des méthodes qui puissent suivre en temps réel le niveau de conscience des patients au cours de la chirurgie. Pour ce faire, nous avons tenté de complémenter l’évaluation de l’anesthésiste par un algorithme qui permettrait une estimation objective de l’état de conscience à partir du monitorage de données physiologiques hors EEG, à disposition lors des anesthésies en pratique courante. Les conclusions de cet algorithme ont été ensuite comparées à celles fournies par l’anesthésiste et aux données recueillies simultanément par un EEG 32 canaux.

En pratique, la multidisciplinarité des équipes de notre laboratoire a permis une collaboration de 4 ans entre les équipes de mathématiques et d’anesthésie-réanimation. Cette collaboration a permis de colliger plusieurs bases de données au cours d’anesthésies générales avec l’objectif d’appliquer ensuite sur ces bases de données des méthodes d’apprentissage statistiques. Pour colliger ces données, nous avons mis au point, en collaboration avec Thalès, un outil qui permette l’enregistrement de manière synchronisée des nombreux signaux issus de différents moniteurs médicaux utilisés pendant l’anesthésie : respirateur artificiel, scope cardio-pulmonaire, EEG de 32 canaux. En outre, ces bases de données sont annotées, c’est-à-dire que l’état des patients tel qu’il pouvait être apprécié cliniquement était connu et a été soigneusement consigné.

L’exploitation de ces bases de données a permis le développement d’un algorithme visant à prédire la profondeur de l’anesthésie sans intégrer les données de l’EEG. Cette méthode, basée sur un modèle cache de Markov, a fait l’objet d’un dépôt de brevet, d’une publication acceptée et d’une autre en cours de soumission. L’algorithme permet de déterminer l’état dans lequel se trouve un patient en cours de chirurgie avec un taux de vrai positif de 75%.

Afin d’améliorer ce taux de prédiction, plusieurs voies sont possibles, dont l’intégration de signaux EEG aux données qu’utilisent l’algorithme. Mais dans un contexte de pratique clinique, nous avons déjà mentionné que l’usage d’un EEG multicanaux n’est pas réaliste. Par contre, l’analyse des données issues de 32 canaux EEG au cours d’anesthésies générales, nous a permis de conclure que l’enregistrement d’un seul canal au niveau frontal était suffisant pour discriminer le niveau de profondeur d’anesthésie d’un patient, ce qui a donné lieu à une publication. Dans le futur, les données issues de ce canal EEG pourront donc être intégrées à l’algorithme visant à prédire la profondeur de l’anesthésie et ce en pratique courante.

L’exploitation de nos bases de données a également permis le développement de simulations, tant sur le comportement d’un anesthésiste au cours d’une chirurgie que sur l’évolution des variables physiologiques qu’il contrôle. Cette étude a donné lieu à une publication en deuxième auteur.

Le suivi de la modulation des états de conscience des patients anesthésiés que nous avons effectué s’est poursuivi jusqu’à la troisième heure après la fin de l’anesthésie. Notre but était de rechercher à quel moment l’EEG revenait à l’état d’éveil. Nos résultats préliminaires montrent pendant la phase de réveil précoce, des trajectoires de réveil homogènes sur l’ensemble du scalp des patients. Par contre, les 3 heures suivantes étaient marquées par des différences interindividuelles majeures dans la disparition des ondes cérébrales caractéristiques de l’anesthésie. La signification de ces phénomènes n’est pas encore éclaircie et fait l’objet de la poursuite de nos travaux.

En conclusion, colliger plusieurs bases de données pendant l‘anesthésie nous a permis d’ouvrir de nouvelles voies de recherche et nos futurs travaux futurs se poursuivront donc autour de trois axes : i) l’amélioration de l’algorithme qui détermine la profondeur de l’anesthésie, ii) la mise en place d’un suivi des patients pendant plusieurs heures après une anesthésie, jusqu’à récupération ad integrum et obtention d’un trace EEG strictement identique à ce qu’il était avant l’anesthésie, et iii) l’application des nouvelles méthodologies de monitorage de la profondeur de la sédation à la réanimation où cette profondeur de sédation est encore plus complexe à appréhender du fait de la gravité de l’état des patients et de la fluctuation des leurs états de conscience.